Alors que les nids de frelons asiatiques atteignent leur taille maximale en cette fin septembre, communes et départements lancent des campagnes de piégeage ciblées pour capturer les futures reines avant l’hiver, dans un contexte de progression continue de l’espèce invasive sur le territoire français.
France — 7 octobre 2025. Les initiatives locales se multiplient depuis le début du mois d’octobre face à la prolifération du frelon asiatique. À Bergerac, la municipalité a annoncé le 3 octobre la distribution gratuite de 150 pièges sélectifs aux habitants, accompagnés d’un mode d’emploi détaillé pour la période mi-octobre à fin novembre. Dans le Pays basque, un collectif d’apiculteurs relance une campagne de piégeage automnal après avoir observé des résultats encourageants au printemps. En Haute-Loire, département récemment colonisé depuis 2020, les référents bénévoles multiplient les opérations de repérage des nids avant la dispersion hivernale des fondatrices.
Ces mobilisations de terrain interviennent alors que le plan national de lutte, prévu par la loi du 15 mars 2025 visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique, attend toujours ses décrets d’application. Le texte, adopté à l’unanimité par le Parlement, prévoit pourtant un financement dédié et l’indemnisation des apiculteurs victimes de cette espèce classée nuisible.
Des chiffres qui confirment l’expansion de l’espèce
Les données départementales témoignent d’une intensification de la présence du frelon asiatique. En Ille-et-Vilaine, la fédération départementale de lutte contre les organismes nuisibles a comptabilisé 3 870 nids détruits entre avril et juillet 2025, un total qui dépasse déjà celui de l’année 2024 complète. Le seul mois de juillet a nécessité 2 153 interventions professionnelles, un record historique pour le département. Ces destructions s’inscrivent dans un dispositif de prise en charge financière couvrant 95 % du territoire départemental, fruit d’une coordination entre le conseil départemental, les intercommunalités et les communes.
La progression s’observe également dans d’autres régions. En Bretagne, plusieurs départements signalent une hausse de plus de 50 % des nids éliminés par rapport à 2024. Les conditions météorologiques de l’année, alternant chaleur et pluies, ont créé un environnement favorable au développement de l’espèce. Les nids atteignent désormais leur taille maximale, pouvant abriter jusqu’à 13 000 individus en cette période de pic d’activité automnale.
Une menace documentée pour l’apiculture
L’impact sur les colonies d’abeilles domestiques constitue l’une des principales préoccupations. Selon les données du réseau GDS France, relayées lors des débats parlementaires, 20 % des pertes de colonies apicoles en 2022 étaient directement attribuées au frelon asiatique. La ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a alerté lors de l’adoption de la loi sur les conséquences économiques pour la filière.
« 20 % des pertes d’abeilles domestiques lui sont aujourd’hui directement imputables. Chaque année, ce serait près d’un tiers de notre cheptel apicole qui pourrait être détruit, avec des pertes estimées à 12 millions d’euros pour la filière. »
— Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, débat à l’Assemblée nationale, 6 mars 2025
Les apiculteurs professionnels saluent l’adoption législative tout en exprimant leur impatience face au retard de mise en œuvre. Patrick Granziera, administrateur de l’Union Nationale de l’Apiculture Française (UNAF), a qualifié le vote de « victoire pour l’apiculture française et pour la biodiversité » lors de l’adoption du texte, tout en appelant à des moyens financiers à la hauteur de la prédation subie par les ruchers.
Sur le terrain, la prédation du frelon asiatique s’observe quotidiennement devant les ruches, où l’insecte pratique le vol stationnaire pour capturer les abeilles butineuses. Cette pression constante fragilise les colonies, particulièrement en fin de saison lorsque les réserves hivernales se constituent.
Piégeage automnal : entre espoir et controverse scientifique
Les campagnes de piégeage d’automne reposent sur un principe simple : capturer les jeunes reines avant leur hibernation pour réduire le nombre de nids l’année suivante. À Bergerac, les habitants peuvent retirer gratuitement des pièges sélectifs dès le 6 octobre sur présentation d’un justificatif de domicile. La ville diffuse des tutoriels précisant la hauteur d’installation recommandée (1,5 à 2 mètres) et la composition de l’appât : un mélange d’un tiers de bière, un tiers de sirop de grenadine et un tiers de vin blanc.
Cette recette alcoolisée vise à attirer les frelons tout en épargnant les abeilles, qui ne sont pas attirées par l’alcool. Le dispositif a été expérimenté avec succès dans certaines communes bretonnes. À Brec’h, dans le Morbihan, un réseau de 125 bénévoles a capturé 7 772 reines fondatrices lors de la campagne de printemps 2024, un résultat présenté comme une référence nationale par les porteurs du projet.
Toutefois, l’efficacité réelle de ces piégeages massifs fait l’objet de débats au sein de la communauté scientifique. L’association Arthropologia, spécialisée en entomologie, a publié en juillet 2024 une mise en garde argumentée contre les campagnes de piégeage non sélectif.
« Il n’est pas scientifiquement prouvé que ce piégeage des fondatrices permette de diminuer le nombre de nids. Piéger certaines fondatrices revient en réalité à limiter la compétition, et n’est pas efficace pour limiter le nombre de nids. Les campagnes de piégeage non sélectifs menées depuis des années pourraient donc avoir un impact négatif sur les insectes et le bon fonctionnement des écosystèmes plus important que celui du frelon lui-même. » — Communiqué Arthropologia, 9 juillet 2024
Ces réserves s’appuient sur des études montrant que plus de 99 % des insectes capturés dans les pièges-bouteilles classiques ne sont pas des frelons asiatiques, mais d’autres espèces utiles à la biodiversité. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) recommande d’ailleurs de ne pas installer de pièges artisanaux à grande échelle, soulignant leur impact limité sur les nids visés.
Risques sanitaires et gestion raisonnée
Au-delà de l’impact sur l’apiculture, le frelon asiatique soulève des questions de santé publique. Bien que moins agressif que le frelon européen en situation normale, l’espèce défend vigoureusement son nid lorsqu’on s’en approche. Les piqûres de frelons asiatiques peuvent provoquer des réactions allergiques graves chez les personnes sensibles. Selon les données de toxicovigilance de l’Anses portant sur la période 2014-2023, les frelons (asiatiques et européens confondus) représentent 25 % des piqûres d’hyménoptères mais 38 % des cas graves, notamment en raison du risque de piqûres multiples lors d’attaques de groupe.
Les autorités sanitaires insistent sur l’importance de ne jamais tenter de détruire soi-même un nid de frelons asiatiques. La plupart des accidents surviennent lors de travaux de jardinage ou d’élagage, lorsque des personnes découvrent un nid dissimulé dans une haie ou un abri. La procédure recommandée consiste à signaler tout nid repéré à la mairie, qui coordonne l’intervention d’entreprises spécialisées équipées de protections adaptées.
Les référents départementaux multiplient les messages de prévention en cette période où les nids secondaires deviennent visibles. Maxime Laurent, référent frelon pour le groupement de défense sanitaire de Haute-Loire, résume l’enjeu dans une formule percutante.
« Un nid non détruit, c’est dix nids supplémentaires l’année suivante. » — Maxime Laurent, référent frelon GDSA 43, Le Progrès, 5 octobre 2025
Un cadre législatif en attente d’application
L’adoption unanime de la loi du 14 mars 2025 avait suscité l’espoir d’une coordination renforcée de la lutte anti-frelons. Le texte prévoit la mise en place d’un plan national décliné par les préfets dans chaque département, ainsi qu’un fonds d’indemnisation pour les apiculteurs. L’État dispose d’un délai de six mois pour publier les décrets d’application détaillant les modalités concrètes de ce dispositif.
Sept mois après la promulgation de la loi, ces décrets n’ont toujours pas été publiés au Journal officiel. Sur le terrain, ce sont donc les collectivités locales qui assument l’essentiel de l’effort financier et organisationnel. En Ille-et-Vilaine, un système de financement tripartite répartit les coûts de destruction entre le département, les intercommunalités et les particuliers. Dans l’Ain, le groupement de défense sanitaire a distribué 1 080 pièges lors de la campagne de printemps 2025.
L’Union Nationale de l’Apiculture Française, qui avait alerté les pouvoirs publics pendant plusieurs années sur l’urgence d’agir, attend désormais les mesures concrètes promises par le législateur. Christian Pons, président de l’UNAF, avait salué lors de l’adoption du texte la fin d’un « vide législatif qui a trop longtemps laissé les apiculteurs seuls face à cette crise ».
En Suisse voisine, les autorités ont également renforcé leur arsenal réglementaire. Le Conseil fédéral a modifié le 3 septembre 2025 l’ordonnance sur les produits chimiques pour autoriser, à compter du 1er octobre, la destruction des nids en forêt avec des biocides homologués. Cette mesure vise à ralentir la progression de l’espèce, repérée en Suisse depuis 2020 dans les zones frontalières.
Perspectives pour la saison 2026
Les prochaines semaines détermineront l’ampleur de la présence du frelon asiatique au printemps 2026. Les spécialistes soulignent que la mortalité naturelle des jeunes reines pendant l’hiver reste élevée, environ 50 % selon les entomologistes. La compétition entre fondatrices pour trouver les meilleurs emplacements de nidification au printemps constitue également un facteur de régulation naturelle.
Les collectivités qui ont mis en place des dispositifs de surveillance et de destruction précoce espèrent constater une stabilisation, voire une diminution du nombre de nids au printemps prochain. Les données comparatives entre zones avec et sans piégeage intensif permettront d’affiner l’évaluation de l’efficacité des différentes méthodes employées.
En attendant, la vigilance reste de mise. Les particuliers sont invités à signaler tout nid repéré à leur mairie et à éviter toute intervention personnelle risquée. Les apiculteurs, de leur côté, maintiennent une surveillance rapprochée de leurs ruchers et adaptent leurs pratiques pour limiter la prédation, notamment par l’installation de muselières à l’entrée des ruches pendant les périodes d’attaque les plus intenses.





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